Concevoir un design sans la couleur
Par Mark Boulton
Faire un design en travaillant sur la couleur, c’est peut-être l’une des choses les plus difficiles à faire dans le domaine du design graphique. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a rien de plus subjectif. Certains trouveront génial de choisir une palette de gris sombre avec quelques touches de rose vif, tandis que d’autres trouveront ça très laid. On voit trop souvent des designers prendre des décisions arbitraires sur cette question, qu’ils soient ou non formés à la théorie chromatique, et c’est au moment où ils tentent de justifier ces choix auprès de leurs clients que tout se complique. Dans ce premier article, je vais m’intéresser aux tons et à l’avantage qu’on trouvera à limiter l’étendue de sa palette.
On baisse d’un ton
Il y a quelques années (houlà, ça fait même une bonne quinzaine d’années…) j’étais en première année aux Beaux-Arts, ici à Stockport au Royaume-Uni. Je voulais devenir peintre, ou plus exactement illustrateur. Dès la première semaine, on nous a demandé de nous débarrasser de tous les beaux pinceaux qu’on venait de s’acheter pour les cours. Nous avons donc dû laisser notre matériel tout neuf à la maison, puis aller dehors récolter des brindilles et dénicher de l’encre noire. Je n’étais vraiment pas enthousiaste. Comment imaginer qu’un artiste puisse créer à l’aide d’outils aussi primitifs ?
Nos professeurs nous ont donc fait peindre avec des brindilles, puis avec nos pieds, puis les yeux bandés : bref, la totale. À l’époque j’ai trouvé ça nul, et je ne comprenais pas où ils voulaient en venir. Maintenant que j’ai pris du recul, je perçois bien l’intérêt de cet horrible démarrage. Ils nous apprenaient à observer et à produire des œuvres qui n’étaient pas dictées par nos outils. En d’autres termes, si nous avions disposé de couleurs variées et de beaux pinceaux, la tentation de les exploiter aurait été trop grande. Faute de pinceaux et de couleurs, nous avons été contraints de communiquer la notion de couleur uniquement avec des effets de ton.
C’est par cela que je voudrais commencer.
Faisons sans la couleur
L’une des choses que j’apprécie dans le design éditorial, et en particulier dans le design typographique, c’est l’importance du noir et blanc. Bien sûr, la couleur constitue une étape très importante de tout travail typographique, mais je m’intéresse avant tout au ton et à la forme. Je crois qu’il y a tout à gagner à retirer complètement la couleur de l’équation afin de focaliser sur les questions de tonalité d’un design, avant d’y appliquer des couleurs.
Quelques exemples notables suffiront à montrer qu’un design basé seulement sur du noir peut être original et attirant.
On ne saurait parler du design web en noir et blanc sans évoquer le site de Khoi Vinh, Subtraction.com. Khoi travaille avec du noir et de l’orange pour correspondre au style suisse du design (ou style typographique international, NdT).
Le site Substraction.com par Khoi Vinh
Form, un magazine de design allemand, utilise une typographie en noir et blanc (basée sur une grille rigoureuse) pour transmettre son concept de marque aux utilisateurs du site. On voit l’effet qui est atteint avec ce noir et blanc : l’ouvrage qui est mis en lumière, avec sa couleur vive, se détache très nettement du cadre noir et blanc.
Le magazine allemand de design Form
D’abord du gris
Faites donc le test pour votre prochain design. Comme indiqué dans le titre, contentez-vous de le démarrer avec du gris en différentes nuances. N’ajoutez aucune couleur tant que vous n’êtes pas satisfait du design en noir et blanc. Il y a de grandes chances que les décisions de palette et de couleurs que vous prendrez seront ensuite beaucoup plus simples, parce que le design ne dépendra plus de la couleur pour fonctionner. C’est particulièrement pertinent si on cherche à créer un design avec une bonne accessibilité. Ce n’est pas le sujet de cet article, puisque je me concentre ici sur le design graphique, mais l’accessibilité reste néanmoins une question qui ne doit pas être négligée. En basant votre design sur le noir et blanc, vous vous assurez que la solution retenue ne dépendra jamais de la couleur.
J’utilise souvent la couleur pour mettre des éléments du design en avant, mais en général ils ont déjà un rôle dans le graphisme retenu, comme par exemple les lignes horizontales du site ci-dessous. On peut aussi imaginer mettre en valeur un bouton de recherche, ou bien les éléments d’une barre de navigation. La couleur sert alors à faire ressortir des éléments fonctionnels cruciaux de l’interface.
On résout d’abord les questions de tons avant d’appliquer de la couleur
Vers des palettes mono- et duo-tonales
Dans mon prochain billet, je vais aller un peu plus loin avec mes gris.
On a quand même de la chance, nous les designers du web. On peut employer pratiquement n’importe quelle couleur. Les designers papier, eux, sont confrontés à des limites sur l’usage des couleurs depuis l’origine de l’imprimerie. Du coup, cela les a rendus très attentifs à ces questions du design en couleur. Je trouve qu’il n’y a rien de plus formateur que de créer des projets à une ou deux couleurs, mais appliquées à un grand nombre de situations, afin de mieux réfléchir à la façon dont la couleur est employée. Je vais essayer d’évoquer cet axe de réflexion (et cette contrainte) dans mon prochain billet.
http://www.markboulton.co.uk/journal/five-simple-steps-to-designing-with-colour