Désacraliser les tests d’utilisabilité
Par Dana Chisnell
Chaque fois que quelqu’un vit une expérience de qualité en interagissant avec un site ou une application web, un gadget ou un service, c’est parce qu’une équipe de designers a pris d’excellentes décisions, décisions nourries par des données sur comment les gens interagissent avec un design. Comment ont‑ils obtenu ces données ? Par des tests d’utilisabilité.
Jared Spool [1] ne se fait jamais prier pour expliquer que toutes les mauvaises décisions qui vouent un design à l’échec viennent d’un manque d’information, d’après une étude de sa compagnie. Observer les utilisateurs permet de prendre de bonnes décisions en toute confiance et certitude. Et pourquoi cette technique plutôt qu’une autre ? Parce que selon moi, 80% de la valeur ajoutée de ces tests vient de la magie qui opère quand on observe et qu’on écoute les gens pendant qu’ils se servent d’un design. Ce qu’on voit et entend est souvent surprenant, parfois éclairant, et par‑dessus tout imprévisible. Et cette imprévisibilité est difficile à capturer autrement.
Les 20% restants viennent des discussions préliminaires durant lesquelles les membres de l’équipe choisissent leurs « Grandes questions », ainsi que des discussions récapitulatives au cours desquelles ils décident quoi faire de ce qu’ils ont constaté durant les tests.
Différents objectifs, différents types de tests
Quand je vous parle de « Test d’utilisabilité », vous imaginez probablement une sorte d’expérience psychologique : un « Sujet » est enfermé avec des cartes d’actions, peut‑être même branché à des capteurs biométriques, pendant que « l’Observateur » se tient dans une pièce séparée, enregistrant les moindres faits et gestes tout en dictant ses instructions via un intercom, telle une présence divine.
Cette image correspond aux « tests formels », qui sont le plus souvent sommatifs. Ils servent à vérifier que le design fonctionne bien tel que prévu.
Ce type de tests se réalise plutôt en fin de cycle de conception. Ce qui m’intéresse davantage (comme la plupart d’entre vous) concerne surtout l’exploration et l’évaluation, en début de cycle.
Le processus classique
Dans le Manuel des tests d’utilisabilité (Handbook of usability testing, 2nd edition), Jeff Rubin et moi‑même présentions ce qui peut servir à mener des tests formels, aussi bien que des tests plus décontractés qui permettent d’explorer des idées et de former des concepts et des designs. Quel que soit le type de test, les étapes restent grosso modo les mêmes.
- Concevoir un plan de test ;
- Choisir les conditions du test ;
- Trouver et sélectionner les participants ;
- Préparer le guide de test ;
- Diriger les sessions ;
- Noter les remarques des participants et observateurs ;
- Analyser les données et observations ;
- Tirer des conclusions et proposer des recommandations.
Passons en revue chaque étape.
Concevoir un plan de test
Installez‑vous avec l’équipe et accordez‑vous sur un objectif de test (ne vous contentez pas de « Déterminer si c’est utilisable »), la formulation des questions, et les caractéristiques des personnes à interroger (on préfère les appeler « Participants » que « Cobayes »). Le plan de test inclut aussi les méthodes et mesures qui seront utilisées pour obtenir les réponses aux questions du test. Il est entièrement possible de boucler ces points en moins d’une heure. Notez bien tout et choisissez le membre de l’équipe qui sera modérateur des sessions de test.
Choisir les conditions du test
Utiliserez‑vous un laboratoire ? Sinon, quel type d’équipement ? Les sessions seront‑elles enregistrées ? Ici encore, l’équipe devrait décider de ces choses‑là ensemble. Il est bon d’inclure ces questions logistiques dans le plan de test.
Trouver et sélectionner les participants
Il est beaucoup plus simple de choisir en fonction de la tâche à observer que de chercher à coller à la segmentation du marché ou à la démographie. Si vous étudiez un système de téléconférence par Internet, prenez des gens qui donnent ou suivent des téléconférences. Si vous testez le processus de réservation d’hôtel sur un site web, faites appel à des gens qui réservent des chambres d’hôtel. Si vous étudiez un guichet aiguillant des personnes intégrant ou quittant un programme d’étude, recrutez des gens qui suivent ces programmes. Vous voyez le topo ? Pas la peine de se compliquer la vie pour le recrutement.
Préparer le guide de test
Vous aurez besoin d’une sorte de guide ou de check‑list pour vous assurer que le modérateur fait bien le tour des questions du test. Il ne doit pas les poser directement aux participants ; elles doivent être transformées en scénarios de tâches représentant des objectifs utilisateurs réalistes.
Ce document doit également contenir les questions que vous souhaitez poser à tous les participants, des débuts de phrase pour les inciter à élaborer, ainsi que les questions à poser en conclusion du test.
Diriger les sessions
Le modérateur devient maître de cérémonie durant chaque session. Il doit être garant de la sécurité et du confort des participants, s’assurer que les observateurs parmi l’équipe sont attentifs et ne perturbent pas le déroulement, et vérifier que les données sont collectées.
Il ne doit y avoir qu’un seul modérateur par session, mais un maximum de membres de l’équipe doit assister aux tests. Si vous choisissez de réaliser plusieurs sessions de tests individuels, chaque membre de l’équipe doit assister à deux de ces sessions au moins.
Noter les remarques des participants et observateurs
À la fin de chaque session, pensez bien à prendre du recul avec le participant, et à lui demander son ressenti. Invitez également les observateurs à faire passer leurs questions au modérateur, ou à les poser eux‑mêmes. Remerciez le participant, rémunérez‑le, et dites‑lui au revoir.
Vient ensuite le moment où les observateurs doivent résumer ce qu’ils ont vu et entendu, sans pour autant commencer à chercher à analyser et à trouver des solutions.
Analyser les données et observations
À la fin d’un test d’utilisabilité, vous savez ce que vous avez observé, ce que votre équipe a vu et entendu. En étudiant ensemble les observations effectuées, un schéma se dessine et vous permet de réfléchir à ce qui provoque certains comportements particuliers. De ces comportements, vous pouvez commencer à imaginer ce qui frustre vos utilisateurs et leur pose des problèmes. Grâce à ces hypothèses, votre équipe pourra utiliser son expertise pour proposer des solutions aux problèmes détectés dans le design. Il est ensuite possible de modifier le produit et de confronter ces hypothèses à une deuxième session de test.
Ce que vous obtenez
En suivant ce processus pas à pas, vous obtenez un planning impeccable, respecté au millimètre, des tonnes de données, des analyses rigoureuses, et le plus important : des résultats. Au passage, vous obtiendrez également de la documentation. Ça peut paraître beaucoup, et parfois c’est nécessaire.
En fait, la plupart des tests d’utilisabilité doivent être plus simples et plus rapides. Certaines des meilleures équipes d’expérience utilisateur ne font que quelques heures de tests par mois, sinon moins, et sans forcément les concevoir comme telles. Pour eux, cela s’appelle simplement « rassembler des idées », ou « obtenir des retours utilisateurs ».
Peu importe le nom, pourvu que vous observiez des gens utilisant votre design, c’est un test d’utilisabilité.
Quelqu’un, quelque chose, quelque part
Je vous assure, tout ce dont vous avez besoin pour un test d’utilisabilité, c’est d’un utilisateur de votre design (ou de quelqu’un qui joue son rôle), quelque chose à tester (un design, achevé ou non), et quelque part où confronter l’utilisateur et le design et où vous puissiez observer cette rencontre. Cet endroit peut même être éloigné, cela dépend surtout de l’état d’achèvement du design. Vous n’êtes même pas obligés d’utiliser un laboratoire et tout l’équipement qui va avec.
Une fois que vous serez habitué à faire ce genre de tests, vous trouverez des moyens d’aller plus vite et de réduire le processus aux seules étapes qui vous aident vraiment. En général, les étapes essentielles à une étude d’utilisabilité sont les suivantes :
Préparer le guide de test
Le processus classique implique un guide de test qui peut faire plusieurs pages. Une équipe bien rodée peut se contenter d’une structure minimale d’une ou deux lignes spécifiques aux éléments du test.
Trouver des participants
Je le répète, tout est question de comportement. Il faut viser ici l’attitude qu’ont les parents qui poussent leurs enfants dans des études post‑bac. Assurez‑vous surtout de :
- Connaître vos utilisateurs ;
- Leur laisser le temps ;
- Être flexible ;
- Vous souvenir qu’ils sont humains ;
- Récompenser généreusement.
Diriger les sessions
Si vous êtes le modérateur, faites le maximum pour être impartial et dénué de préjugés. Essayez d’être simplement présent et de voir ce qui se passe. Le concepteur de l’interface peut assumer ce rôle lui‑même, ce qui vous permet de prendre du recul et de considérer l’exercice objectivement.
Rappelez‑vous que le but n’est pas d’apprendre au participant à se servir du design. Demandez‑lui d’effectuer une tâche réaliste et laissez les choses se passer, en ayant les yeux et les oreilles grands ouverts. Bien sûr, s’il s’agit d’une tâche courante et que le participant n’y arrive pas pendant la session, indiquez‑lui comment faire une fois que vous aurez obtenu vos informations.
Au cours de la session, posez des questions ouvertes : Pourquoi… ? Comment… ? Qu’est‑ce qui… ?
Tirer des conclusions et proposer des recommandations
Parlez. Considérez toutes les idées sans vous censurer. Mettez‑vous d’accord. À moins que le design ait été parfait au moment où le test a été effectué (c’est extrêmement rare), et même si l’équipe n’a fait qu’une ou deux sessions, analysez vos observations et tirez‑en des théories expliquant pourquoi les choses se sont passées de cette manière. Modifiez quelques éléments et recommencez le cycle.
Comment naissent les designs proposant une expérience particulièrement agréable ? De l’observation des utilisateurs
Obtenir des retours utilisateurs est fantastique, et connaître leurs contraintes est important. Les retours des plates‑formes téléphoniques et du personnel de support technique sont également d’une grande aide pour créer et améliorer les designs. Peu importe le terme employé dans votre équipe (tests d’utilisabilité, tests d’ergonomie, retours utilisateur), pour justifier les décisions prises concernant le design, les meilleures données sont celles obtenues en étudiant le comportement et les performances de personnes utilisant un design afin d’atteindre leurs propres buts.
Les équipes disposant de beaucoup de données prennent de meilleures décisions. Et neuf fois sur dix, ces données viennent de tests d’utilisabilité.
Si cela vous intéresse, vous pouvez télécharger gratuitement des exemples et modèles de plans de tests, formulaires de consentement et guides de sessions depuis le site compagnon du Manuel des tests d’utilisabilité : www.wiley.com/go/usabilitytesting.
[1] NdT : Fondateur d’une société de recherche, formation et consulting en utilisabilité
http://www.alistapart.com/articles/usability-testing-demystified/