L’accessibilité : politique et design

Par Alan Herrell

Il y a un peu plus d'un an, j'ai écrit ici un article sur l'adoption imminente des directives pour l'accessibilité du Web aux États-Unis. Plus particulièrement sur la section 508 du workforce Investment Act de 1998, qui demande à toutes les administrations fédérales des États-Unis de rendre leurs sites accessibles aux personnes avec des déficiences physiques, et ceci dans un délai de 24 mois suivant l'application de cette loi.

Les directives ont finalement été rendues publiques et le compte à rebours a repris.

« Mais je ne travaille pas pour le gouvernement ! », vous écriez-vous. Oui, probablement. Mais les conséquences de ces directives vont s'étendre bien au-delà des domaines .gov. Si vous travaillez pour une université ou d'autres .edu qui acceptent des bourses fédérales et ont un site, surprise ! Vous voilà aussi dans le bain.

Une des clauses les moins connues de l'Americans with Disabilities Act (ADA), c'est la « règle de communication efficace ». Dans une lettre datée du 9 septembre 1996, Deval L. Patrick, assistant du Procureur Général, Division des Droits Civils, écrit ceci au sénateur Tom Harkin :

L'ADA exige de l'État et des gouvernements locaux comme des administrations de lieux publics que ceux-ci fournissent les moyens auxiliaires appropriés et les services nécessaires pour assurer une communication efficace avec les personnes souffrant d'un handicap, sauf si cela entraîne une modification fondamentale du programme ou service, ou une charge excessive (28 C.F.R. . 36.303 ; 28 C.F.R. . 35.160). Par moyens auxiliaires, on entend textes enregistrés, documents en Braille, documents imprimés en gros caractères et toute autre méthode qui rend un contenu visuel compréhensible à des malvoyants.

Les personnes morales concernées par l'ADA sont tenues de fournir une communication efficace, qu'elles communiquent généralement au travers de médias imprimés, auditifs ou informatisés comme Internet. Les personnes morales concernées qui utilisent Internet pour faire des communications au sujet de leurs programmes, leurs biens ou leurs services doivent également être prêts à offrir ces communications sous une forme accessible.

Tout d'un coup, cette lettre a élargi le champ d'application du règlement aux sites de l'État et des gouvernements locaux. Elle a aussi ouvert la porte à la revendication de l'accessibilité des sites commerciaux. Si vous possédez un .com en relation avec le gouvernement, vous pourriez avoir à vérifier si ces directives vous concernent. Nombreux sites et avocats, suivez mon regard.

C'est une Bonne Nouvelle. Certains d'entre vous sont au chômage. Avec l'arrivée de cette loi, l'implosion des sites purement ludiques en .com représente une occasion en or pour la création de nouveaux emplois. Beaucoup de nouveaux emplois. Avant que vous n'envoyiez un curriculum vitae, voyons les actions entreprises par le gouvernement.

Oncle Sam a besoin de vous.

L'application des directives a été confiée au Département de la Justice (DOJ). Le 2 avril 1999, le Procureur Général a publié un mémorandum destiné à tous les responsables des organismes les informant des adjonctions de la section 508 et leur donnant des instructions à suivre pour la vérification de leurs moyens informatiques d'information et de communication.

Le gouvernement des États-Unis détient plus de 20 000 sites, et 3 028 pages ont été examinées.

Cet effort, bien que portant sur un petit échantillon a démontré la bonne volonté du Département de la Justice à appliquer ces directives, ainsi qu'à en faire une priorité.

Ces informations sont réunies, assemblées et présentées dans un rapport. Le 22 juillet 1999, le Département de la Justice a publié ce rapport sur le statut des différents sites fédéraux. Celui-ci met en évidence qu'un certain nombre d'outils et de techniques d'information et de communication, financés par le contribuable, ne sont pas accessibles.

La quatrième note du rapport indique :

Le Département a pris soin de relativiser l'importance et la portée des conclusions issues des données fournies par les organismes, pour la simple raison que de nombreux sondés ont semblé ne pas comprendre les questions posées. Des contrôles ponctuels menés par le service des sites - sur des URL apparaissant dans les formulaires de sondage - révelaient que nombre d'entre eux ne comportaient pas les fonctionnalités qu'ils prétendaient contenir. Par exemple, 592 pages furent identifiées comme contenant des « applets ». Le service, après avoir revu une majorité de ces pages, ne trouva pas une seue applet lors du contrôle.

Il y a beaucoup d'explications possibles à ce phénomène. Il est possible que les composants identifiés comme posant problème (ex. les applet) aient été effacés de leurs pages Web plutôt que de les rendre accessibles. Il est plus probable, néanmoins, que nombre de personnes ayant évalué les pages web n'étaient pas suffisamment rigoureuses et compétentes pour identifier correctement les caractéristiques de leurs pages.

Dans les environnements étudiés on pouvait trouver des applets Java, des images zonées [image maps - NdT], des fichiers Microsoft PowerPoint et des fichiers PDF d'Adobe Acrobat.

Bien que sûrs, les applets Java, pour une présentation d'information accessible, dépendent d'un certain nombre de facteurs qui rendent leur emploi délicat. Les images zonées, utilisées correctement avec les attributs alt, posent moins de problèmes mais demandent réflexion. Les présentations PowerPoint sont non seulement sévèrement limitées du point de vue de l'accessibilité, mais nécessitent en plus une copie de PowerPoint pour pouvoir être vues.

Adobe est l'un des principaux fournisseurs d'outils utilisés quotidiennement dans le monde pour bâtir des sites. Le format de fichier Portable Document Format d'Adobe est florissant et offre un véritable sens à l'expression «WYSIWYG». C'est un très bon format pour la présentation de produits finis, c'est pourquoi il est énormément utilisé pour les documents légaux. C'est le côté positif.

Le 22 juillet 1999, le Département de l'Éducation a produit un rapport pour l'ensemble des services sous sa tutelle. Ce rapport résume les problèmes d'accessibilité qu'ils ont rencontrés, lorsque le format choisi pour les documents était le PDF d'Adobe Acrobat :

Le format PDF a posé l'un des problèmes d'accessibilité les plus controversés de la décennie. De par leur nature, les documents PDF sont portables, indépendant du support, généralement inaltérables, et restituent avec exactitude les polices de caractère, la mise en page d'impression originale, la mise en forme, etc.

Selon le rapport du Département de la Justice :

17. Récemment, lors d'une présentation aux responsables et aux employés d'organismes fédéraux, les représentants d'Adobe ont expliqué que leur nouvelle version d'Adobe Acrobat incluait de nombreuses fonctions d'accessibilité, qui, correctement employées, permettraient la création de fichiers d'accès facile pour des utilisateurs handicapés. (séminaire sur l'accessibilité d'Adobe, 2 février 2000, Immeuble de l'IRS). Les documents issus d'un traitement de texte, qui sont « imprimés » en PDF au lieu d'être « scannés », sont sensés fonctionner beaucoup mieux avec l'utilitaire d'accès d'Adobe. La société Adobe explicite que, de son point de vue, son travail consiste simplement à fournir les outils pour l'élaboration de fichiers accessibles, et non à apprendre aux utilisateurs la façon d'utiliser ces outils pour rendre les fichiers plus accessibles. [emphase de l'auteur]

cf. Information Technology and People with Disabilities: The Current State of Federal Accessibility April 2000

Le gouvernement a fait ses devoirs.

Rapport confidentiel sorti en septembre 2000 : « Évaluation pour un e-gouvernement : l'Internet, la démocratie et les services délivrés par l'État et les gouvernements fédéraux. » En voici les grandes lignes :

  1. seulement 5 pour cent des sites gouvernementaux présentent une certaine forme de politique de sécurité et 7 pour cent une politique de protection des données personnelles ;
  2. 15 pour cent des sites gouvernementaux proposent certains moyens d'accès pour les handicapés, tels que TTY (téléphone textuel) ou TDD (appareil téléphonique pour les malentendants), ou sont approuvés par des associations d'handicapés ;
  3. 4 pour cent proposent des fonctions de traduction du site dans des langues étrangères ;
  4. 22 pour cent des sites gouvernementaux offrent au moins un service en ligne ;
  5. quelques sites commencent à diffuser des messages publicitaires, ce qui, pour des sites du secteur public, soulève certaines questions délicates ;
  6. 91 pour cent des sites ont répondu à un email test demandant les horaires d'ouverture d'un organisme donné et trois quarts de ceux-ci l'ont fait dans la limite d'un jour ouvrable ;
  7. selon notre analyse, le classement global des états varie énormément. Les états du Texas, du Minnesota, de New York, de Pennsylvanie et de l'Illinois ont été bien classés, alors que les états de Rhode Island, du Delaware, du New Hampshire, du Dakota du Sud et du Nevada l'ont été beaucoup moins bien ;
  8. le meilleur indicateur du classement d'un état est la taille de sa population. Les petits états ont accès à moins de ressources et ont des difficultés pour bénéficier d'initiatives technologiques ;
  9. en ce qui concerne les organismes fédéraux, les sites les mieux classés sont : la Commission de Sécurité des Produits Grand public, le Département du Trésor, le Département de l'Agriculture, le Département de l'Éducation et la Commission de la Communication Fédérale. Parmi les moins bien classés : le Conseil National de Sécurité, la Représentation du Commerce, la Maison Blanche, le Service Postal et Thomas (le site conjoint du Congrès) ;
  10. en général, les sites du gouvernement fédéral sont plus performants dans leur démarche d'informer et de servir les citoyens que ceux des gouvernements des états ;
  11. les sites judiciaires sont moins bien classés sur la façon de les contacter que ceux de l'exécutif ou du législatif ;
  12. il est nécessaire d'avoir une plus grande cohérence et une meilleure homogénéité des designs des sites gouvernementaux.

cf. Assessing E-Government: The Internet, Democracy, and Service Delivery by State and Federal Governments

Il reste beaucoup à faire.

Les directives sur l'accessibilité ne concernent pas seulement les méthodes pour créer des sites accessibles, mais aussi l'achat d'outils d'édition pour la création et la gestion de leurs contenus. Restez attentif aux nouvelles versions de vos outils favoris mettant en œuvre des fonctions d'accessibilité.

Le dilemme des développeurs.

Il y a plus de 20 millions de noms de domaine enregistrés, environ 5 milliards de pages disponibles, et 1 000 sites supplémentaires ont été mis en ligne depuis que vous avez commencé à lire cet article.

Le Centre pour les Technologies Appliquées Spéciales, dont le validateur BOBBY vous permet la vérification de l'accessibilité d'un site, a une page consacrée aux sites validés pour leur accessibilité. Il y en a seulement 1 284 au moment de la rédaction de cet article.

Le code que nous employons est en pleine mutation. HTML 4.01, XML, CSS2 : chacun d'entre eux ne cesse de s'améliorer pour nous, mais alors que nous attendons la mise à niveau des navigateurs, nous devons aussi nous rappeler que tout le monde n'a pas à sa disposition les jouets que nous utilisons, la liberté de ses mouvements, ou même la faculté de vision.

La gamme des outils de codage va de l'éditeur de texte jusqu'aux suites de mise en page visuelle qui produisent du code au fur et à mesure que l'on dispose des éléments sur un écran. Ceci met à disposition une magnifique collection des meilleurs matériels et logiciels. Mais les meilleurs outils du marché ne garantiront pas un code ou un design accessibles. Cela reste votre travail.

Les outils pour la mise en œuvre de l'accessibilité sont gratuits. C'est exact ! G R A T U I T S.

La validation se trouve à quelques touches de là. Votre travail est juste devenu un peu plus difficile. « Je n'utilise ni Java, ni DHTML, ni Flash et QuickTime ! », vous écrierez-vous. « J'ai juste besoin d'une poignée de balises ! »

Interrogation surprise !

Combien de navigateurs reconnaissent accesskey ?

Bienvenue dans l'enfer des navigateurs. Il existe trois navigateurs visuels principaux : Internet Explorer, Netscape Navigator, et Opera. Aucun de ceux-ci ne vous permet l'emploi de la totalité des balises d'accessibilité. L'emploi des balises supportées n'est lui-même pas cohérent d'un navigateur à l'autre. Le rendu dépend du support. Lynx est un navigateur en mode texte. la mise en forme y est succincte et aucune image n'y est admise. Les navigateurs non graphiques nécessitent une nouvelle démarche intellectuelle pour la présentation d'un contenu à l'aide de tables.

Tester, tester, tester.

Vous pouvez construire vos pages le plus proprement possible et les valider, mais à moins de les tester dans tous les navigateurs que vous pouvez avoir à disposition et de les faire tester par vos amis sur d'autres plateformes, vous ne pourrez jamais être sûr de rien.

Construire des sites valides est facile. Construire des sites conformes est difficile. Vous vous devez de prendre les bonnes décisions pour inclure les navigateurs textuels, les lecteurs d'écran pour handicapés visuels, et des informations auditives. Il règne un tel chaos dans l'implémentation des CSS que A List Apart n'a pas 1, ni 2, même 3, mais 4 articles consacrés à tout ce que vous ne pouvez pas utiliser !

Si vous construisez des sites pour le gouvernement, vous devrez probablement acquérir un gros manuel avec chapitres et versets.

Si vous construisez des sites commerciaux, tôt ou tard la personne qui vous a payé va recevoir un email de quelqu'un qui veux lui acheter un produit, mais qui ne peux pas parce que vous aviez pris la décision de ne pas rendre son site accessible.

Ces directives inaugurent une nouvelle ère dans le développement des sites. L'accessibilité dans un environnement graphique n'est pas une crise de confiance, mais un défi lancé à votre créativité, vos connaissances et vos compétences pour créer un Web pour tous. Les gouvernements vont le faire, car ils sont financés par l'argent de nos impôts. Les entreprises vont le faire car c'est une question de rentabilité. Vous le ferez parce que vous aimez relever les défis.

Lectures utiles (en anglais) :


http://alistapart.com/articles/politics/

Fiche technique

À propos de l'auteur

Alan Herrell est le lémur en chef à lemurzone.com. Il blogue depuis un coin discret du web.

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